Que ce soit dit : j’ai la présomption d’écrire. Il m’arrive de me commettre. C’est immensément prétentieux, quand on y pense. Mais c’est surtout terriblement humbling comme disent les anglais. Non pas « humiliant » mais, si je me permettais d’en faire une traduction simultanée, « humilitant ». Écrire demande une dose importante, en continu, de solitude, de recueillement. Écrire est l’aboutissement d’une pratique quotidienne d’observation. Être – physiquement – dans le geste d’écrire, c’est-à-dire devant une feuille, stylot en main (ou plume ou crayon HB ou tout ce que vous voudrez) et really be writing, aligner les mots, puis les phrases, puis les paragraphes : c’est physique. Ça se passe dans le corps. J’entends par là que tout le corps y est engagé. Pas que la main. Les pauses, ou « silences », qui s’imposent physiquement entre deux mots, la censure quoi, c’est physique. La censure vient du corps, du moins le traverse-t-elle comme une décharge électrique. Mais revenons, cette partie de l’écriture se fait seul. Entièrement seul. Et surtout, c’est la toute dernière manifestation – la seule visible et par conséquent méprise pour l’acte complet – d’un processus long et lent et raboteux, fort souvent.
Dans le milieu, il y a un certain nombre d’idées entendues. Par exemple, on dit que les jeunes auteurs ont cinquante ans. Ce qui signifie que, pour écrire il faut nécessairement une accumulation d’expériences. Toute sorte d’expériences. Il faut un regard particulier sur ce qui nous entoure. Certainement un regard aiguisé. Une sensibilité particulière. Attention, je ne dis pas une hyper-sensibilité, entendue comme nécessairement émotionnelle dans tout ce que ce terme a aujourd’hui de péjoratif, mais une sensibilité à ce qui se déroule autour de soi, dans sa beauté et sa laideur, le mélange des deux bien souvent, qui en fait un objet informe, innommable, ni beau ni laid. Accumulation. Il faut vivre quoi. Et voilà, cette pensée sur l’écriture est bien le contraire de l’idée véhiculée par le « mythe de l’écrivain ». Toujours isolé, retiré du monde pour se ménager un espace de réflexion, une espèce de distance critique, sortant à peine, asocial, voire antisocial. L’écriture commence par l’observation. Platement : pour observer, il faut bien qu’il y ait quelque chose à observer. L’écriture est le contraire d’être enfermé en soi. Sinon c’est de l’autobiographie. Et franchement, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. Littéraire, s’entend.
C’est suite à cette réflexion poursuivie dans les dernier mois et alimentée par diverses conversations avec mon chum et avec des amis que j’ai eu ma petite illumination personnelle. Il y a des choses comme celle-là que l’on « sent », de façon imprécise, sans pouvoir les articuler tout à fait et qui, à un point donné, se concrétisent en une idée tangible et donnent le sentiment d’être un peu moins con. Voilà, j’ai compris la nécessité en création, toutes disciplines confondues, du réseau. Mais pas n’importe quel réseau, un réseau générationnel. (Cette dernière phrase paraîtra peut-être obtue, ceux qui me connaissent savent que c’est loin de la vérité.) Un réseau d’artistes, d’idées ; de conceptions du monde à la fois éloignées et parentes, tant dans leurs formes, leurs manifestations que dans la façon propre de penser la création. Précisons : Qu’ai-je en commun, - moi ou d’autres, écrivant-, avec un peintre, un sculpteur, un musicien, un danseur? Rien, aux premiers abords. Beaucoup, quand on y réfléchit. À commencer, simplement, par le besoin de créer quelque chose, un objet qui soit en dehors de soi. Ensuite, le besoin de participer de quelque chose qui dépasse sa propre personne. Participer de quelque chose de plus grand que soi. Une communauté d’esprit, oserai-je dire. Pourquoi générationnel? Et bien voilà, avant nous il y a eu d’autres créateurs. Ces gens ont réussi un certain nombre de choses. We must aknowledge that fact. On ne crée rien de neuf, d’étonnant, en niant ceux qui y sont passés avant nous. Mais on ne crée rien non plus lorsque le passé devient en quelque sorte LA seule façon légitime de FAIRE. Pour réinventer sa façon d’inventer (tousse tousse) il est nécessaire d’établir une communauté d’esprit en dedans de sa génération ; en toute connaissance de ce qui nous précède mais le questionnant sans cesse.
La création débute par l’échange, se concrétise dans la solitude et se termine dans l’échange.